En 1892, le poète symboliste belge Georges Rodenbach, fait paraître un roman intitulé Bruges-La-Morte. Cette oeuvre, réputée pour être un roman symboliste, met en scène un héros masculin veuf : Hugues Viane. Venu s'installer à Bruges pour effectuer son veuvage, le personnage trouve dans la ville belge un reflet idéal à son paysage intérieur tourmenté par le chagrin et les regrets d'un passé heureux, ainsi dès l'incipit le narrateur raconte que "c'est pour sa tristesse même qu'il l'avait choisie et y était venu vivre après le grand désastre." Lors d'une de ses promenades crépusculaires et quotidiennes, Viane fait une rencontre frappante, en effet "A sa vue, il s'arrêta net, comme figé; la personne, qui venait en sens inverse, avait passé près de lui. Ce fut une secousse, une apparition." Cette apparition, à la manière de celle de Madame Arnoux dans L'Education sentimentale de Flaubert, sera fatale pour le personnage. En effet, ce dernier voit alors en cette femme, qui répond au nom de Jane Scott et apparue devant lui comme un "songe", la réplique fidèle de sa propre femme défunte.
L'admiration que le personnage voue à Jane Scott l'entraîne vers une chute profonde et douloureuse des prises de conscience de la vanité humaine, du mensonge, des chimères de la vie. Jane Scott, actrice de métier, se laisse entretenir par le fidèle Hugues Viane aveuglé par son illusion et sourd aux rumeurs qui commencent à courir sur son compte dans la ville pieuse, dont les béguinages sont si célèbres à cette époque.
L'auteur, dans le chapitre VIII, se plaît à décrire le "visage de Croyante" de Bruges, visage contrastant avec la mine moqueuse et hypocrite de l'actrice; il offre au lecteur la description de la pieuse servante de Viane, Barbe, qui s'inquiète pour son maître "en état de péché mortel" et qui juge nécessaire de prendre conseil auprès d'un prêtre.
Cet entrelacement de la Ville, représentante à la fois de l'âme du héros, mais aussi de sa femme perdue et personnage à part entière, avec la cruauté d'une femme actrice, chantre de l'illusion et des chimères sont pour Rodenbach autant de prétextes pour l'exploration de l'âme humaine et de ses tourments. La spectaculaire fin à la fois morbide et théâtrale fusionne les deux seules femmes qui occupèrent le coeur du personnage. Le narrateur l'avoue lui-même : "Les deux femmes s'étaient identifiées en une seule.", cette phrase apparait comme une sentence qui annonce la conclusion du roman pénétrée de la folie du personnage en proie à un délire presque pathologique : "Et Hugues continûment répétait : "Morte...morte... Bruges-la-Morte..." d'un air machinal, d'une voix détendue, essayant de s'accorder : "Morte...morte...Bruges-La-Morte..." avec la cadence des dernières cloches, lasses, lentes, petites vieilles exténuées qui avaient l'air -est-ce sur la ville, est-ce sur une tombe? - d'effeuiller languissamment des fleurs de fer!"
Dans son avertissement, au début du roman, Georges Rodenbach précise qu'il a "voulu principalement évoquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d'âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir". Au delà de l'aspect poétique de ce postulat d'écriture, l'auteur met en évidence le caractère influent de l'environnement sur l'Homme, il pose alors la question suivante : " Un individu peut-il se départir de l'endroit dans lequel il réside?". Si la ville de Bruges a autant d'influences sur Hugues Viane c'est parce qu'il trouve des échos fidèles à ses réflexions intérieures dans les "quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi" qui caractérisent la Bruges de la fin du XIXe siècle.
L'oeuvre, dans son édition Flammarion de 1892, est ornée d'un frontispice de Fernand Khnopff et agrémentée de trente-cinq illustrations. L'image du frontispice présente une femme allongée sur un lit moelleux entouré d'une végétation féminine. Les cheveux tombent sur la poitrine du personnage comme de minces filets d'eau rappelant l'arrière-plan de l'illustration qui représente un pont à Bruges. Les yeux fermée de la défunte laissent imaginer qu'elle est dans un paisible sommeil. Esthétisant ainsi la mort, le frontispice ne peut que rappeler le "mythe" d'Ophélie emprunté à Shakespeare par bon nombre de symbolistes.
Il est possible de trouver l'oeuvre sur Gallica à l'adresse suivante http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57844349.r=bruges+la+morte.langFR
Un article Wikipedia est également consacré au roman : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bruges-la-Morte
Source image, Bruges-La-Morte, Gustave Adolf Mossa : http://servat.rene.free.fr/mossa.htm